Spire : Le Soulèvement, c’est un univers de dark fantasy où tu joues des Elfes noirs qui mènent, dans l’ombre, une révolution contre les oppresseurs haut-elfes, les aelfirs.
C’est un univers steampunk où les chevaliers en armure rouillée se baladent, avec leur pétoire, à dos de corbeau géant.
Où des gladiateurs se battent en pantalon taille basse à paillettes dans une arène géante entourée d’un bidonville.
Où les gnolls sont des sorciers qui mettent des éfrits en bouteille pour les utiliser comme bombe sur les champs de bataille.
Où les elfes sont immortels grâce à une technologie obscure qui permet de se momifier.
C’est un monde sombre, délirant, fascinant, mortel et jubilatoire.
Il y a en a pour tous les goûts : de l’occulte, de l’horrifique, du glamour et du panache. Pourtant tout se tient, la lecture du livre de base est un régal, il y a une idée de scénario par paragraphe ou presque… (C’est un cliché de l’écrire mais promis c’est vrai !)
Fiche technique
Spire est aujourd’hui une cité occupée, sous le joug tyrannique de maîtres froids et cruels.
En tant que drow, vous avez décidé de combattre l’oppression des aelfirs et de libérer votre cité. Vous avez alors rejoint le Culte de la Souveraine Cachée, un ordre vénérant la face cachée de la Lune, une divinité de ténèbres et de secrets. Vous êtes la Résistance !
Passons rapidement sur les règles, puisque c’est de bon aloi. Elles sont simplissimes.
A mon goût, elles reposent un peu trop sur le hasard, mais elles suffisent pour un jeu qui se veut plus orienté infiltration, politique, manipulation, que francs combats en rangées alignées.
Les points bonus
Là où je tire un énorme plaisir c’est les messages et intentions des auteurs.
Alors oui, tu joues des aspirants révolutionnaires dans un monde pourri, avec tout ce que ça peut entraîner de missions illégales, dilemmes moraux et choix difficiles. Pourtant le jeu est suffisamment cadré pour permettre aux joueureuses de trouver leur ton.
Hé bien oui, c’est un univers sombre, MAIS le jeu est suffisamment cadré pour permettre aux joueureuses de trouver leurs tons. Et j’insiste sur le fait que même si l’univers est sombre, le CADRE de jeu est très safe.
Quelques exemples :
Commençons par l’univers, qui n’est ni raciste (certes il y a ségrégation sociale, mais les aelfirs et les drows font partie de la même race), ni sexiste : le célèbre matriarcat drow est surtout présent dans les Nations Mères, qui sont une région loin de la ville de Spire, il n’y a pas d’attente genrée dans la société de Spire. On trouve autant de brutes gladiatrices que de prostituÉs… Et bien, trouver des prostitués masculins dans un jeu med-fan, c’est déjà une rareté qui mérite d’être mentionnée.
Bien que la cruauté des aelfirs soit clairement établie, on ne trouvera pas de descriptions explicites de sévices, pas de torture-porn, pas de cruauté gratuite explicitée hors-jeu sous prétexte qu’on est “un univers sombre et adulte”.
Les auteurs ont même prévu un disclaimer sur l’esclavage : “Ce sujet est difficile à aborder, nous ne pensons pas avoir les épaules assez solides pour nous y attaquer.”
Les conseils de narration font la part belle aux discussions entre la MJ et ses joueureuses, au contrat social, à l’écoute des attentes de chacun, chacune. Des méta-techniques de sécurité émotionnelle comme les Lignes et Voiles, ou la Carte-X, sont citées. Dans le complément Strata, chaque scénario commence par un avertissement sur les thèmes évoqués dans le scénario qui pourraient choquer certaines personnes (trigger warning).
Évidemment, toutes ces indications ne vous empêchent pas de jouer comme vous en avez envie à votre table.
Enfin, il y a une vraie réflexion politique des auteurs autour des questions de l’oppression et de la révolution (ils citent même des vrais auteurs révolutionnaires comme sources d’inspiration).
Et c’est tout ça qui fait toute la différence avec ce jeu et d’autres jeux dont les auteurices n’ont pas spécialement réfléchi plus loin, et où leurs racisme ou sexisme intériorisés transparaissent à la lecture. Ou bien quand le jeu sert de prétexte aux joueureuses pour justifier leurs bas instincts.
Des ptits bémols pour la fin
Alors s’il fallait vraiment trouver des points négatifs au jeu, il y en a quelques-uns, mais qui atténuent à peine mon enthousiasme.
Alors, c’est un univers sombre, tout le monde est corrompu ou presque, il n’y a pas beaucoup d’espoir, donc j’imagine, qu’il vaut mieux éviter d’y jouer si moralement vous ne vous sentez pas bien. Par contre, il y a bien de la lumière au bout du tunnel, et parvenir à changer une société injuste et oppressive sur le long terme est clairement l’objectif que doit atteindre les personnages, et ça c’est grisant (mais au prix de combien d’efforts et de pertes, évidemment…)
Autre bémol : La ville de Spire est longuement décrite (la description fait une bonne moitié des pages du livre de base, le supplément Strata revient aussi sur certains quartiers), mais certains éléments sont à peine, ou pas du tout évoqués. Ça c’est un peu frustrant quand, comme moi, on préfère un cadre un peu plus poussé pour faciliter l’immersion dans l’univers. C’est aussi, je pense, l’intention des auteurs de laisser les joueureuses façonner l’univers comme ils l’entendent et choisir leur direction.
Dans la même veine, les raisons de l’engagement des PJ dans leur cellule terroriste sont assez expédiées, j’ai eu un peu l’impression de devoir faire appel à ma suspension de l’incrédulité pour ça (mais ça peut s’arranger en soignant les backs des PJ).
En bref
Spire : Le Soulèvement est officiellement mon coup de cœur de ce début d’année 2022. C’est un jeu qui gagne à être connu !
Et puis, qui n’a pas eu envie un jour de remplacer son foie par de la cire afin d’y abriter une ruche ? (Un métier d’avenir, apiculteur chtonien)