Et si aujourd’hui on descendait dans les profondeurs de la terre ? Parlons de Moria, le tout nouveau supplément pour Le Seigneur des Anneaux version D&D 5e. Après avoir exploré les paisibles collines du Comté et savouré des aventures à cinq goûters, Free League vous emmène cette fois dans l’obscurité légendaire de la Moria. Un lieu chargé d’histoire, de danger et de mystère, prêt à accueillir vos plus belles histoires !
Pour ce projet, Free League fait la proposition suivante :
“Moria n’est pas une forteresse de l’Ennemi, comme Barad-dûr ou Minas Morgul. Ce n’est pas un donjon débordant de pièges et de monstres – il y a des pièges et des monstres ici, mais pour la plupart, Moria est vide. C’est une ville en ruines, sans fin et désolée, l’air lourd de mélancolie lugubre. Explorer Moria n’est pas une aventure folle qui rebondit d’une rencontre étrange à une autre ; pour la plupart, c’est une marche froide à travers un endroit sombre, silencieux et solitaire comme une tombe. La peur et la morosité devraient être les humeurs dominantes de la campagne”
Un “donjon” vide voilà qui est audacieux comme projet 🙂 C’est presque introspectif comme voyage annoncé ! Du coup, j’avais envie de vous en parler évidemment !
Fiche technique
Moria™ – Through the Doors of Durin is an epic campaign expansion delving into the depths of Khazad-dûm for the award-winning second edition of The One Ring™ roleplaying game (TOR), based on the works of J.R.R. Tolkien.
Set in the years before Balin’s doomed expedition, this supplement contains a hoard of Patrons, Landmarks, foes, encounters and treasures that a Loremaster can use to construct their own adventures in Moria – from a single desperate journey in the dark to a grand campaign to retake Durin’s Halls.
For long ages, the great city of the Dwarrowdelf was the seat of Dwarven kings, and they were rich beyond measure in gold and Mithril. But a thousand years ago, Durin’s Bane arose and drove the Dwarves from their halls. The city fell into darkness, becoming an abode of Orcs, Goblins – and worse.
Countless Orcs perished in the Battle of Five Armies. Maybe the Halls of Durin lie empty once more. Maybe there are piles of treasure there, waiting to be claimed. Maybe Mithril still glimmers in the mines under Caradhras. Cross the dread threshold, adventurer, and delve deep!
“Dans le cœur du récit”
Plonger dans Moria m’a confirmé une fois de plus le savoir-faire de Free League en matière de fidélité d’univers. Chaque page respire la démesure de l’endroit, avec un texte ciselé pour immerger le lecteur dans une atmosphère fidèle et captivante. Si ce lieu mythique vous fascine, ce supplément ne se contente pas d’être un outil de jeu : il se savoure aussi comme une encyclopédie illustrée. Exactement comme La Comté, Moria ne laisse aucun recoin dans l’ombre et enrichit vos lectures de Tolkien.
Et ce n’est pas tout. Conscient de l’héritage de la Moria et de l’intimité des lecteurs avec ses secrets, le supplément fait des propositions pour maintenir vos joueurs dans l’ignorance des dangers qu’ils encourent. Prenons le Fléau de Durin, par exemple : plutôt que de simplement confirmer qu’il s’agit du Balrog, le livre explore des possibilités fascinantes. Et si ce fléau était un dragon ? Le Roi Sorcier d’Angmar ? Ou même une allégorie, un sombre fardeau de honte que les nains auraient personnifié en un monstre mythique pour échapper à leur culpabilité ? Chaque hypothèse est accompagnée de détails soignés pour s’intégrer parfaitement à l’univers. Un très chouette travail si vous voulez mon avis
Au cœur des règles :
Le bestiaire de Moria est à l’image de l’encyclopédie qui l’accompagne. Riche et varié, il regorge de tribus orques, de spectres hantant les galeries et de créatures indigènes aussi étranges que mortelles. Personnellement, mon coup de cœur revient à la Grenouille des Profondeurs (team #grenouilledesprofondeurs, on est là).
La Moria elle-même est présentée comme un antagoniste à part entière, une hostilité vivante et oppressante. Un exemple : ses eaux sinistres. Toute personne assez imprudente pour les boire goûte littéralement aux larmes des Nains de Khazad-dûm, versées lors de la chute de leur royaume face au Fléau de Durin. Ce simple acte, tragique et chargé de symbolisme, empoisonne l’âme du buveur en l’imprégnant d’une corruption lente mais inévitable.
Autre règle que j’ai bien aimé : dès le début de l’exploration, les joueurs sont avertis des dangers d’un lieu où chaque minute et chaque bruit peuvent sceller leur sort. Plus ils tardent ou signalent leur présence dans le silence pesant des galeries, plus ils risquent d’attirer l’attention de quelque chose. Ce système d’alerte insidieux renforce l’oppression et installe une tension palpable, où chaque décision compte.
Au niveau des outils narratifs
Free League n’est pas en reste de conseils pour retranscrire la grandeur et la mélancolie de la Moria. La recette d’une bonne partie se base sur un ingrédient essentiel: la description. Elle est votre meilleure alliée pour rendre hommage à ce lieu mythique. Et Free League ne vous laisse pas seul face à cette tâche, vous offrant une pléthore d’exemples et d’idées pour donner vie à ses immenses salles abandonnées.
Imaginez une immense bibliothèque, un théâtre en ruines, une galerie d’art où le temps a effacé la finesse des détails, ou encore un palais jadis grandiose, dont les échos de gloire persistent malgré la décrépitude. Faites évoluer votre Compagnie au milieu de statues titanesques, à l’image des sentinelles de l’Argonath, ou sur des aqueducs qui grondent comme des fleuves en furie. Laissez-les s’interroger sur des forges où une armée entière de forgerons aurait pu travailler simultanément.
Les secrets perdus des Nains sont une autre source de mystère à explorer : et si les bâtisseurs de la Moria maîtrisaient un art unique ? Peut-être façonnaient-ils la pierre sans outils, comme Orthanc, ou animaient-ils des statues vivantes aujourd’hui réduites à des débris. De telles découvertes plongent vos joueurs dans une histoire ancienne qui dépasse l’entendement.
Enfin, l’ambiance oppressante de la Moria est renforcée par des détails réalistes. Lors de leurs campements, demandez à vos joueurs de décrire leurs préparatifs, puis plongez-les dans l’obscurité suffocante des tunnels. Le froid de la pierre, aussi glacial qu’une tombe, s’insinue même à travers leurs sacs de couchage. L’eau fétide s’égoutte dans un rythme sinistre, et chaque tentative de repos devient un combat contre l’inconfort et la peur.
C’est un travail exigeant, mais avec sérieux et investissement, le résultat peut être d’une beauté unique.Une expérience que vos joueurs ne sont pas prêts d’oublier.
A tout bien faire, il manque parfois quelque chose
Mais… Lorsque j’ai refermé Moria, après m’être laissé emporter par cette ambiance magistralement restituée, un sentiment d’inachevé s’est imposé. Malgré la richesse des descriptions et des conseils, il manquait quelque chose : un récit prêt à jouer. C’est un ressenti personnel, mais toute cette matière, aussi fascinante soit-elle, ne débouche pas sur une histoire immédiatement exploitable.
Les propositions de scénarios présentes dans le livre sont davantage des ébauches que des trames. Elles offrent des pistes, certes intéressantes, mais demandent un travail conséquent pour les transformer en aventures complètes. Cela laisse un vide pour ceux qui espéraient plonger rapidement leurs joueurs dans une campagne dans les profondeurs de la Moria.
C’est là, à mon avis, le seul véritable point faible de ce supplément. Car s’il est indéniablement un ouvrage de qualité, un petit bijou d’atmosphère et de précision, il reste un complément incomplet pour le MJ pressé ou en quête d’une structure narrative immédiate.
En bref
Si vous êtes du genre à aimer bricoler vos campagnes dans votre garage, Moria est fait pour vous. Le livre regorge d’outils, d’idées, et d’éléments à assembler, sans la moindre contrainte scénaristique pour freiner votre imagination. Il laisse une grande liberté pour modeler votre propre récit.
Pour les fans de Tolkien, Moria est un trésor. Respectueux de l’œuvre originale et d’une exhaustivité impressionnante, il offre une perspective enrichissante pour redécouvrir les récits du maître à travers le prisme du jeu de rôle. Le livre permet de transmettre cette passion en recréant une part de cette magie autour de votre table.
Mais si, comme moi, c’est avant tout les histoires qui donnent vie à un univers, ce supplément peut déstabiliser. Free League a livré ce qu’ils avaient promis : une Moria riche, unique, et fidèle à sa légende. Pourtant, pour moi, cela manque de corps. Le livre s’apparente davantage à une toile vierge qu’à un récit clé en main. J’aurais souhaité une proposition de campagne ou un fil conducteur pour m’aider à appréhender toute cette richesse.
En résumé, Moria est un excellent livre, mais un livre à acheter en connaissance de cause. Si vous aimez construire vos histoires de toutes pièces, il vous comblera. Si vous préférez des récits prêts à jouer, vous pourriez rester sur votre faim.