Et si le Mythe venait prendre vos dés pour en tirer quelques secrets innommables ? Et si vos tables de rencontres n’étaient que des préambules à l’appel d’entités par delà les étoiles ? Réussite ? Echec critique ? Votre Quarantenaire l’a lu pour vous et vous en parle maintenant !
« Tu prends Cthulhu et tu adaptes » est un meme récurrent dans l’univers rôlistique. C’est un vibrant “cœur avec les doigts” à l’œuvre de Chaosium, qui dans les années 80, venait prendre à contrepied les habitudes des rôlistes biberonnés à Donjon & Dragons.
Ici, aucune montée en puissance ou gloire n’attendaient les héros, héros qui d’ailleurs finissaient, au mieux, fous dans un asile. Ton jeu était peuplé de créatures au-delà de tout FP* que tu n’aurais pu espérer vaincre même après cinq ans de parties hebdomadaires. Et surtout, pas besoin d’attendre le don Prestige au niveau 6 pour recevoir une place forte à gérer, même si une place forte au goût Cthulhu serait plutôt un manoir hanté par des rats en forme de mains.
Les anciens se rappellent peut-être de la version D20 du jdr L’Appel de Cthulhu, parue en 2002/2003. La postérité retiendra que le résultat était plus perturbant qu’autre chose, et que les fans sont vite revenus à leur D100, s’ils l’avaient jamais un jour lâché.
*FP : Facteur de puissance est un terme technique de donjon qui mesure la difficulté d’une rencontre. Ainsi 4 aventuriers de niveau 1 devraient pouvoir résoudre avec ce qu’il faut de difficulté une rencontre de FP 1.
Deux univers a priori donc incompatibles. Deux univers dont l’union contre-nature ne serait jamais féconde, et cela jusqu’à la fin des temps.
Par le passé, on avait déjà vu des incursions du Mythe dans des compléments de jdr med-fant, généralement par petites touches : on voit passer des profonds ou des chiens de l’enfer dans les bestiaires, on invoque des dieux tentaculaires tapis dans la noirceur des étoiles…
Pour moi, ces références relevaient plus du clin d’oeil de connaisseur pour les fans, voire de la private joke. On sentait que c’était juste une parenthèse dans des univers déjà largement peuplés en aberrations et autres lunes de fin du monde.
Et puis, en 2006, il y a eu Cthulhu Mythos pour Pathfinder, publié par le même auteur, d’ailleurs.
Qu’en est-il de la version DD5 ?
Fiche technique
Editeur : Edge Entertainment
Pagination : 400 pages
Résumé : Dans ce guide de référence exhaustif, l’auteur du jeu de rôle révolutionnaire sur l’Appel de Cthulhu décrit par le menu plus de 100 monstres, 26 Grands Anciens et Dieux Extérieurs, quatre nouvelles races jouables, un arsenal de sorts complet, des règles inédites concernant l’usage de la magie et une avalanche d’objets magiques et d’artéfacts. Les fiches techniques minutieuses côtoient les conseils du maître sur le rôleplay, l’intégration de l’horreur dans les parties, les descriptions détaillées des cultes du Mythe et une approche inédite de la démence !
Cthulhu Mythos propose d’intégrer le Mythe dans votre univers DD5. Tout un tas d’options s’ouvrent à vous, depuis la création de personnage aux listes d’objets magiques (sans surprise : plein d’ouvrages occultes !), en passant par les sacro-saintes règles de santé mentale, et un bestiaire particulièrement démesuré, Tout n’est pas mauvais mais, après deux lectures, cela laisse un goût de trop peu. L’hommage est là mais le mariage tant annoncé ne prend pas.
Petersen nous montre du Mythe motorisé DD5 mais n’esquisse pas les bonnes passerelles pour évoquer un univers palpable. Il ne propose malheureusement pas non plus d’univers original. Il aurait été plus parlant, par exemple, de réécrire les Royaumes Oubliés à la sauce Mythos. Ici, il fait référence à des classiques du med-fant (les elfes, les nains…), mais on a du mal à se projeter cet univers seulement esquissé, très générique.
Edge nous promet une campagne dédiée dans le futur, mais pour l’instant, pas de date de sortie ou de pitch à grignoter. En attendant d’en avoir plus à se mettre sous la dent, cette chronique se basera sur le matériel fourni. Nous en reparlerons lorsque la campagne sera publiée.
Bref, vous l’aurez compris, je ne suis pas entièrement convaincu mais ne jetons pas le Profond avec l’eau de R’lyeh et poursuivons !
L’hommage au Mythe est clairement présent tout au long du livre. Voilà qui devrait déjà satisfaire les amateurs et les curieux.
Les classes de personnage : le livre qui murmurait à l’oreille des clercs
Niveau classes de persos, chaque archétype est pensé en termes de Mythe. Plusieurs classes revues m’ont particulièrement charmé : la variante « érudite » du roublard, le clerc capable de bannir la connaissance (façon inquisiteur vigilant), et une vraie variante du Sorcier qui pactiseavec les grands anciens, pour ne citer que celles-ci.
Les règles d’effroi : vous reprendrez bien un peu de folie avec vos dés ?
Les règles d’effroi, aka la santé mentale version Donjon, sont correctes. En gros, il y a différents niveaux d’effroi échelonnés de 1 à 7, avec une gradation dans la peur et le risque croissant de folie. Les sources de l’effroi sont précisées : en plus des classiques sorts de peur et autres créatures épouvantables, on trouve la notion de secret dérangeant, dans la droite ligne des livres du Mythe de Cthulhu. Les règles précisent également comment adapter les pouvoirs de peur des monstres connus.
Comparée aux règles de peur du livre de base de DD5, assez lacunaires, ou aux ajouts dans la campagne “Out of the Abyss” qui ne m’avaient pas convaincu, j’apprécie la proposition de Petersen pour le rendu final.
Y a même des choses totalement hors Mythe qui en valent la peine.
Des races jouables : pour tous les goûts (et parfois le goût, c’est vous !)
Commençons par la goule ! La “goule du Mythe” m’a plu. Sincèrement je l’ai lue et j’en suis arrivé à la conclusion que j’allais retiré le mot « Mythe » et l’utiliser comme goule tout court. La déchéance qui accompagne la lente et mortifère transformation de l’individu en goule. Une société qui rejette les oripeaux d’une vie passée à trépas. Une réflexion sur la place de ces monstres en marge des vivants, voilà un récit que je n’avais pas vu depuis longtemps.
Ces goules sont tragiques, elles sont hideuses mais elles sont « vivantes » à l’intérieur des pages. Fait encore plus intéressant, le cannibalisme est intégré sauce Mythe avec une étrange capacité à partager des souvenirs dans la chair du mort. C’est comme une drogue qui permet à ces créatures d’être quelqu’un d’autre, d’accéder à la source de savoirs oubliés. Voilà une excellente interprétation du Mythe de la goule.
Et y a aussi le “Chat de la Contrée des Rêves”. Et si Monsieur Moustache était en fait un puissant sorcier lorsqu’il dormait et rêvait ? L’idée dans les ouvrages du Mythe nous apprend que nos chats ont deux vies. La première lorsqu’ils interagissent avec nous et chassent les souris. L’autre, plus longue, lorsque le chat dort et dans ses rêves parcourt les contrées lointaines. Là-bas le chat se dote d’une intelligence plus qu’humaine et se hisse au niveau des autres races pensantes. Parfois, ce chat refuse de redevenir un simple chat et devient un « Chat éveillé » quittant son rôle de compagnon pour devenir un aventurier à part entière. Y a même des règles de synergie pour qu’il devienne le familier d’un PJ.
En parlant des familiers croquignolets, y a aussi le «Cylindrique cérébral» qui, comme son nom l’indique, un cerveau dans un bocal. Alors, quel est l’intérêt ? Esthétiquement, c’est la classe nécrosée assurée. Pas super pratique à transporter, mais il peut maintenir les sorts à votre place, ce n’est jamais inutile.
Parlons peu mais parlons chelou
Et comment ne pas finir par l’aklo. Actuellement dans DD5, l’aklo (ou le “deep speech”) c’est la langue des fées sombres et autres bizarreries d’obédience malfaisante. C’en est presqu’une sorte d’alternative à l’abyssal et l’infernal pour ceux qui ne veulent pas faire comme les démons/diables. Ça se pose là mais on ne sait jamais vraiment ce que ça représente concrètement
Avec Mythos, l’aklo devient une langue occulte préexistante à l’humanité (je dirais donc aux créatures vivantes). Elle, je cite, “s’affranchit de la notion du temps pour s’adapter à la fluidité des dimensions et des réalités que les mortels ne peuvent pas comprendre”. C’est la langue des créatures qui perçoivent le temps comme un recueil d’événements juxtaposés et non comme un écoulement à sens unique.
Parfait pour les Grands Anciens et autres dieux extérieurs mais aussi pour les liches et les fées immortelles. A part la définition tirée par les cheveux, l’aklo devient une langue cool ! Petite joie personnelle, le livre précise que la plupart des gens n’en parlent que des rudiments et que ceux qui en maîtrisent les détails ont sombré dans la folie, perdus dans l’impossibilité du temps.
En conclusion :
Si je devais m’arrêter là, si je devais ne pas prononcer la dernière syllabe de la berceuse d’Azathoth, j’en serais content. De bonnes pistes de jeu, des mécanismes pertinents et le monde est riant… Seulement, dans un coin de ma tête, une voix me demande où donc se trouve la fusion des deux univers promis et je serais bien incapable de le dire. Il va donc me falloir reprendre l’incantation et vous demander un peu de patience pour avoir le fin mot de cette chronique en deux parties.